Boris VILDÉ (1908-1942)

Boris Vildé est une des figures symboles de la résistance pionnière en zone occupée. Linguiste et ethnologue, le Fontenaisien, fondateur du réseau de Musée de l’Homme est arrêté par la Gestapo suite à une dénonciation, il est fusillé par les Nazis au Mont-Valérien le 23 février 1942.

 

Boris Vladimirovitch Vildé est né le 25 juin 1908 à Petrograd dans une famille russe où se mêlent les origines allemandes et baltes. Son père, employé supérieur des chemins de fer, est atteint d’une aliénation mentale et meurt en 1912. 

A l’âge de quatre ans, le jeune Vildé part s’installer avec sa mère et sa sœur chez sa grand-mère maternelle dans le petit village de Yastrebino situé à 120 kilomètres au Sud-Ouest de Petrograd. Ils y demeurent jusqu’en 1919, date à laquelle la famille Vildé s’installe dans la ville de Tartu en Estonie.

En 1926, il obtient son certificat de fin d’études et s’inscrit ensuite à l’université de Tartu en physique-chimie après avoir rapidement assimilé sa nouvelle langue ainsi que le finlandais mais par manque de moyen, il ne peut terminer son cursus. Travailleur manuel en scierie et imprimerie pour gagner sa vie, il milite en faveur du séparatisme balte et fait un bref séjour en prison.

C’est là que Boris Vildé, élève brillant mais volontiers révolté, suit des études secondaires au Gymnase russe de la ville.De 1930 à 1932, il passe successivement en Lettonie pour rejoindre l’Allemagne. Il y perfectionne sa connaissance de la langue allemande qu’il avait déjà étudié à l’Université, vit pauvrement à Berlin en effectuant des traductions, occupant divers emplois précaires tel lecteur à l’Université de Iéna. Il participe au mouvement contre la montée du nazisme, ce qui lui vaut un court emprisonnement. À Berlin, il rencontre André Gide venu donner en 1932 une conférence. Celui-ci lui conseillera de quitter l’Allemagne et se propose même de lui trouver un logement à Paris. André Gide lui présente Paul Rivet, directeur du Musée de l’Homme.

 

 

A Paris, Boris Vildé fréquente assidûment le Montparnasse bohême des artistes et reprend des études supérieures, décrochant rapidement une licence d’Allemand, un diplôme de Japonais aux Langues Orientales, ainsi qu’un certificat d’ethnologie. C’est en donnant des cours particuliers de Russe qu’il fait la connaissance d’Irène Lot, Fontenaisienne domiciliée 53 rue Boucicaut, fille du médiéviste professeur à la Sorbonne Ferdinand Lot (1866-1952) et de son épouse Myrrha Borodine (1882-1957), russe de naissance, qu’il épousera à Fontenay-aux-Roses le 27 juillet 1934.

Boris Vildé acquiert la nationalité française par naturalisation en septembre 1936 et il entre au Musée de l’Homme. Il obtient un diplôme de langue allemande à la Sorbonne en 1937 et est chargé du département des civilisations arctiques au Musée de l’Homme. À ce titre, mettant à profit ses connaissances linguistiques et sa connaissance du terrain, il effectue deux missions en Estonie et en Finlande en 1937 et 1938.

 

Septembre 1939

 

 

Boris Vildé appelé sous les Drapeaux au 403ème Régiment d’Artillerie

Lors de la mobilisation de septembre 1939, il est incorporé comme brigadier dans la DCA. Maréchal des logis-chef, il est blessé à la jambe lors des combats et fait prisonnier le 17 juin 1940 dans le Jura. Il parvient à s’échapper et regagne Paris à pied au début du mois de juillet 1940.

Boris Vildé, grand humaniste, n’avait aucune attache politique.

La défaite de la France, sa nouvelle patrie, fut un véritable déchirement pour lui.

Décidé à « faire quelque chose contre l’occupant », il établit alors son quartier général dans les locaux mêmes du Musée de l’Homme. Secondé par Yvonne Oddon, bibliothécaire du Musée et par Anatole Lewitsky, son collègue ethnologue, il lance les bases, dès l’été 1940, d’une des toutes premières organisations de résistance de la zone occupée. Autour de ce noyau initial créé au Palais de Chaillot, Vildé multiplie très tôt les prospections et entre en relation avec d’autres cellules qui fleurissent un peu partout au même moment à Paris et ailleurs. Son activité principale a été de regrouper et de fédérer des initiatives distinctes. C’est ainsi qu’il entre en contact, dès l’automne 1940, avec le professeur d’histoire Robert Fawtier qui mettra bientôt sur pied un groupe de renseignements, avec les « Français Libres de France » animé par le quatuor Jean Cassou-Claude Aveline-Marcel Abraham-Agnès Humbert qui s’occupent de contre-propagande, avec les filières d’évasions mises en place par Sylvette Leleu à Béthune et Lucie Boutillier du Rétail à Paris, avec le cercle d’avocats parisiens groupé autour d’André Weil-Curiel et de Léon-Maurice Nordmann, avec un groupe alsacien formé par Pierre Walter.

 Naissance du bulletin: Resistance

Un « secteur Vildé » se dessine donc, actif dans les domaines variés de la propagande, du renseignement et de l’évasion des prisonniers de guerre.

Cherchant vite à spécialiser les groupes, il confie à l’équipe Cassou la mission de fabriquer et de diffuser un véritable journal clandestin.

Le premier numéro de Résistance (Organe du Comité national de Salut Public) paraît le 15 décembre 1940.

Tiré d’abord sur la vieille ronéo du Musée de l’Homme, il figure parmi les tous premiers titres de la presse clandestine en zone occupée. Le second numéro est édité le 31 décembre. Cinq numéros furent publiés, le dernier sous la direction de Pierre Brossolette.

 

 

Hiver 1940-1941 des contacts se tissent entre ceux du Musée de l’Homme et d’autres « secteurs » en formation.

Vildé entre en relation avec les colonels en retraite Dutheil de la Rochère et Hauet, tous deux septuagénaires, et avec Germaine Tillion, jeune ethnologue du Musée de l’Homme, tout juste rentrée de mission en Algérie, qui ont également structuré des groupes autour d’eux.

Des échanges de renseignements ont lieu entre ces différents secteurs, échanges connus des chefs seulement.

Le projet de Boris Vildé ne se limite pas à la zone occupée.

Son ambition: mettre en place un vaste mouvement dont les ramifications s’étendraient à l’ensemble du territoire métropolitain afin d’unifier les forces de la Résistance intérieure.

Il effectue un long périple en zone sud à la fin de l’hiver 1941.

Toulouse, Marseille, Lyon et Clermont-Ferrand, il s’informe, prospecte, cherche des relais et parvient parfois à recruter (c’est le cas à Toulouse en particulier).

Sa précocité et son activisme rendent la « nébuleuse » du Musée de l’Homme particulièrement vulnérable et la répression ne tarde pas à toucher ces organisations pionnières.

Les premières arrestations commencent dès le mois de janvier 1941.

Elles sont dues à l’action d’Albert Gaveau, dont Vildé a fait un de ses agents de liaison et homme de confiance, mais qui se révèle être, en réalité, un redoutable agent double infiltré par le SD allemand.

Lorsqu’il apprend, alors qu’il se trouve encore en zone Sud, les interpellations d’Anatole Lewitsky et d’Yvonne Oddon (10 février 1941), son premier réflexe, contre toute prudence, est d’accourir à Paris.

Repéré, vendu par Gaveau qui poursuit inexorablement sa besogne, il est arrêté à son tour le 26 mars 1941 place Pigalle à Paris et incarcéré d’abord à la prison de la Santé puis à Fresnes à partir du 16 juin 1941.

Mis au secret dans un premier temps, ses conditions de détention s’améliorent à partir de septembre 1941, date à laquelle il peut recevoir des colis, lire, travailler et écrire. Il commence alors la rédaction de son « Journal » et de ses « Lettres de prison», tout en perfectionnant sa connaissance de la langue japonaise.

A travers ses méditations métaphysiques, on perçoit nettement le détachement progressif de la vie qui s’opère et l’acceptation de la mort qui l’attend.

En janvier 1942 s’ouvre enfin à Fresnes le procès de « l’affaire du Musée de l’Homme » devant un Tribunal Militaire allemand présidé par Ernst Roskothen. Boris Vildé est au premier rang des dix-huit accusés, désigné comme le chef de l’activité antiallemande. L’accusation porte sur «la propagation de nouvelles au service des ennemis du Reich, par la diffusion du journal Résistance et transmission de renseignements militaires et espionnage ». Au cours du procès, Boris Vildé surprend le tribunal en retournant l’accusation contre ses juges dans une déclaration faite en langue allemande.

Évoquant Résistance, le tribunal avance que « cette revue est d’autant plus dangereuse qu’elle est bien rédigée et ne contient pas les mensonges habituels et grossiers qu’on lit dans les tracts antiallemands, les faits sont réunis et méthodiquement présentés, c’est précisément dans son caractère sérieux et méthodique que réside son danger pour l’Allemagne. Le tribunal considère donc que les dirigeants de cette revue se sont rendus coupables d’actes en faveur de l’ennemi et doivent être condamnés à mort ».

A ses juges allemands qui lui reprochent d’avoir lutté contre l’occupant alors qu’il n’est même pas français, Boris Vildé rétorque que « tout homme a deux patries, la sienne et la France« . Loin de chercher à minimiser son rôle, il endosse au contraire toutes les responsabilités et tente de décharger les autres inculpés.

Le 17 février 1942, sept hommes, jugés comme les plus dangereux, convaincus « d’intelligence avec l’ennemi », sont sans surprise condamnés à mort. Trois femmes sont condamnées aux travaux forcés en Allemagne. Les autres personnes sont condamnées à des peines de prison et deux personnes acquittées faute de preuves.

 

Les demandes de grâce, signées des plus hautes autorités scientifiques françaises, restent sans effet. Les sept résistants sont exécutés au Mont-Valérien le 23 février 1942 par une froide fin d’après-midi : Boris Vildé, Anatole Lewitsky, Léon-Maurice Nordmann, Georges Ithier, Jules Andrieu, René Sénéchal, Pierre Walter. Boris Vildé, comme plusieurs de ses camarades, refuse d’avoir les yeux bandés, un ultime défi au peloton d’exécution.

Les sépultures de ces résistants de la première heure se trouvent dans le cimetière d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), à proximité des sépultures des membres du groupe Manouchian.

Mention « Mort pour la France ».

Médaillé de la Résistance à titre posthume et titulaire de la Croix de Guerre.

 

La première commémoration officielle de l’assassinat de Boris Vildé et d’Anatole Lewitsky a lieu à Ivry-sur-Seine en février 1945. Le général de Gaulle s’y est fait représenter.

Le 8 juillet 2008, à l’occasion du centenaire de la naissance de Boris Vildé, les collaborateurs du Musée de l’Homme ont organisé une rencontre commémorative sur les tombes de ces martyrs au cimetière d’Ivry.

Le nom de Boris Vildé est inscrit sur le Monument aux morts de Fontenay-aux-Roses, ville où il a vécu avec son épouse Irène (décédée en 1987 et inhumée au cimetière de Fontenay-aux-Roses, 18ème division, aux côtés de ses parents et de sa sœur).

Pour faire perdurer son souvenir, depuis le 14 novembre 1944 une rue porte son nom à Fontenay-aux-Roses.

Pour honorer sa mémoire, un Musé Boris Vildé est ouvert dans le village de Yastrebino dans la région de Leningrad en Russie, là où a vécu la famille Vildé.

Dernière lettre de Boris Vildé à son épouse

Prison de Fresnes (Seine) – 23 février 1942

Pardonnez-moi de vous avoir trompée. Quand je suis redescendu pour vous embrasser encore une fois, je savais déjà que c’était pour aujourd’hui. Pour dire la vérité, je suis fier de mon mensonge, vous avez pu constater que je ne tremblais pas et que je souriais comme d’habitude. Ainsi, j’entre dans la mort en souriant, comme dans une nouvelle aventure, avec quelques regrets, mais sans remords, ni peur.

À vrai dire, je suis déjà tellement engagé sur le chemin de la mort que le retour à la vie de toute façon trop difficile, sinon impossible. Ma chérie, pensez à moi comme à un vivant, non comme à un mort. Je suis sans crainte pour vous, un jour viendra où vous n’aurez plus besoin de moi, ni de mes lettres, ni de ma présence. Ce jour-là, vous m’aurez rejoint dans l’éternité, dans le vrai amour. Jusqu’à ce jour, ma présence spirituelle, la seule vraie, vous accompagnera partout.

Vous savez combien j’aime vos parents, qui sont devenus mes parents. C’est à travers des Français comme eux que j’ai appris à connaître et à aimer la France, ma France. Que ma fin soit pour eux plutôt un orgueil qu’un chagrin. J’aime beaucoup Éveline et je suis sûr qu’elle saura vivre et travailler pour une France nouvelle.

Je pense fraternellement à toute la famille Malin.

Tâchez d’adoucir la nouvelle de ma mort à ma mère et à ma sœur. J’ai pensé souvent à elles et à mon enfance.

Dites à tous les amis mes remerciements et mon affection.

Il ne faut pas que ma mort soit un prétexte à une haine contre l’Allemagne. J’avais agi pour la France, mais non contre les Allemands. Ils font leur devoir comme nous avons fait le nôtre. Qu’on rende justice à notre souvenir après la guerre, cela suffit. D’ailleurs nos camarades du musée de l’Homme ne nous oublieront pas.

Ma chérie, je revois votre visage souriant. Tâchez de sourire en recevant cette lettre comme je souris moi-même en l’écrivant. (Je viens de me regarder dans la glace, j’y ai trouvé mon visage ordinaire.) Il me vient à l’esprit le quatrain que j’ai composé il y a quelques semaines

Comme toujours impassible.

Et courageux inutilement.

Je servirai de cible

Aux douze fusils allemands.

En vérité, j’ai peu de mérite à être courageux. La mort est pour moi la réalisation du grand amour, l’entrée dans la vraie réalité. Sur la terre vous en représentiez pour moi une autre possibilité. Soyez-en fière.

Gardez en dernier souvenir mon alliance [quelques mots censurés].

II est beau de mourir complètement sain et lucide, en possession de toutes ses facultés spirituelles, assurément c’est une mort à ma mesure, qui vaut mieux que de tomber à l’improviste sur un champ de bataille ou de partir lentement rongé par la maladie.

Je crois que c’est tout ce que j’avais à dire. D’ailleurs, bientôt il est temps. J’ai entrevu quelques-uns de mes camarades. Ils sont bien. Cela me fait plaisir. [Quelques mots censurés.] Une immense tendresse monte vers vous du fond de mon âme. Ne regrettons pas le pauvre bonheur. C’est si peu de chose auprès de notre joie. Comme tout est clair. L’éternel soleil de l’amour monte de l’abîme de la mort. Je suis prêt, J’y vais.

Je vous quitte pour vous retrouver dans l’éternité.

Je bénis la vie qui m’a comblé de ces présents.

Votre Boris.

Le Comité du Souvenir Français Fontenay-aux-Roses

10 Place du Château Sainte-Barbe 92260 Fontenay-aux-Roses

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